Catherine Gauthier est socio-anthropologue et nouvellement enseignante à Clermont-Ferrand à l’école d’architecture. Elle suit de près notre projet depuis notre départ de Saint-Étienne où nous travaillons ensemble sur de nombreux projets.
Dans le cadre de son enseignement lié à l’enquête dans un Master dédié à l’écologie, elle a proposé une visite de terrain à Job pour découvrir la commune et le travail que nous y avons engagé. Cette rencontre s’inscrit dans une série de 6 séances à la rencontre de territoires, de projets d’aménagement ou de recherche-action.
15 étudiants sont venus passer une journée avec nous. Au programme découverte de notre association, échanges autour de l’implantation à Job, rencontre avec François Dauphin (Maire) et Michel Morel (Adjoint), visite de la commune, écoutes sonores, projections fictives, discussions. Un programme dense dont nous allons vous présenter quelques éléments ici !
Cette journée a permis d’échanger sur le fond de notre projet. « Est il aisé d’intervenir sur le territoire où l’on vit ? » L’occasion de parler de l’intérêt de la permanence Architecturale (Hyperville, Edith Hallauer) comme méthodologie et approche, souvent complexe à tenir dans le temps en effet mais riche, faisant du territoire une matière familière plus facile à sculpter. Pour nous l’immersion au long cours donne de la matière à projet. Les situations se débloquent dans le temps. C’est l’idée de la permaculture : faire avec l’existant, dans le temps long, à partir du déjà-là.
Catherine Gauthier a demandé aux élus ce qu’ils pensaient de la venue de Carton Plein sur place. Le maire a répondu que c’était toujours riche d’avoir des regards extérieurs… Discussion aussi sur l’intérêt de la projection du scénarios dans l’enquête, pour créer de nouveaux espaces de discussions. Nous parlons finances publiques, jonglages pour essayer de trouver des budgets au bon moment, stratégie de revente de parcelles constructibles pour payer les rénovations du bâti anciens. Le maire nous parle aussi de ses difficultés à entretenir les nombreux bâtiments communaux, et le peu de moyens d’action sur le bâti privé (hôtel).
Nous leur proposons de créer 3 groupes pour imaginer la programmation des 3 grands bâtiments vides, en prenant en compte les échanges réalisés avec nous et les élus, pour trouver comment ces projections puissent permettre de questionner les points de blocages et mettre en avant les ressources.
L’Hôtel des voyageurs devient un lieu chaud où vient s’installer la boulangerie du village. C’est un café restaurant – associatif ou collectif – avec une forte dimension culturelle. On y trouve la médiathèque communale (déplacée de son petit local près de l’église), un office du tourisme pour les estivants, des locaux pour des artisans et artistes à l’étage (la grande salle parquet devenant salle de pratique de danse), de l’hébergement temporaires d’artistes ou de visiteurs (à l’étage). La cuisine tient lieu d’espace de transformation aux bénéfices d’entreprises et d’associations locales. L’ancien relai de poste dans la partie brute avec ses deux portes cochères, devient une halle ouverte/ vitrée et traversante ou se déroule un petit marché couvert mais un espace réversible ou l’on peut aussi écouter un concert ou faire un atelier.
Ce qu’il en ressort, c’est le besoin d’animation dans le bourg perçu comme étant « sur le fil du rasoir »… L’importance de ce patrimoine immense au cœur du village et aujourd’hui délaissé est considérable. Cette projection met en avant la nécessité de créer un programme mixte porté par les citoyens du village mais soutenu par les collectivités, un espace qui vienne renforcer le centre bourg et les commerces existants. Le maire s’inquiète de la mise au norme de ce local vendu cher, qui demande une rénovation de toiture complète. Le portage privé permet de réduire le niveau de mise aux normes auquel sont soumises les collectivités.
La Farandole quant à elle est pensée comme un programme mixte avec de l’habitat pour des personnes âgées – qui reviennent dans le bourg pour vieillir accompagnés et plus socialisés. Le côté du Bâtiment tourné sur le village serait reconnecté et redessiné pour s’ouvrir vers le village et enlever cet effet barrière. Dans le bâtiment, les fonctions d’accueil, de centre de loisirs, de cantines scolaires, convergent avec habitat, puisque les personnes âgées peuvent se joindre aux groupes d’enfants pour bénéficier de la cantine municipale et d’animations dans des locaux adaptés et avec une équipe dédiée. Le préau est un élément important qui pourrait être aménagé. Un verger pédagogique croise les publics de la farandole, de l’école, des habitants du village… ce qui permette d’exploiter la grande parcelle que les étudiants souhaitent non construite, ou seulement si elle est pensée dans le cadre d’un programme complet. En effet pour eux la vue est le premier cachet de la Farandole et il serait dommage de vendre les parcelles pour réaliser des maisons de lotissements en plein cœur de bourg, d’autant plus sur une parcelle très visible en entrée de village et demanderait un terrassement conséquent.
Le maire s’intéresse à ce scénario, il parle d’une visite qu’il a réalisé vers Tours d’un lieu d’accueil pour un public âgé, pensé en lien avec de l’animation et au cœur de bourg. C’est une perspective qu’il trouve judicieuse. Par contre il semble encore très attaché à la vente des parcelle pour payer la reprise de la toiture de la Farandole, qui nécessite 40000 euros a minima. Il semblerait intéressant d’aller plus loin pour pousser ce scénario.
Le bâtiment B des Mélèzes, gigantesque, devient le 24/24, un tiers lieux ouvert et très actif : éloigné du bourg c’est un espace de fête et d’accueil permanent avec une auberge de jeunesse, un mur d’escalade et des pièces à thèmes pouvant accueillir des fêtes sensationnelles ! Des espaces de travail partagés permettent des mises au vert volontaires de groupes qui bénéficient du cadre.
La projection est un peu folle, mais met le doigt sur l’importance d’un programme ambitieux qui draine des publics éloignés. Il met aussi en avant l’importance de l’ambiance, du côté original et vivant du lieu qui attire des citadins, des jeunes de partout.
Ce qui ressort de cet exercice de projection ultra rapide, c’est l’importance d’une programmation mixte et évolutive qui seule peut permettre la réoccupation de bâtiment aussi gigantesques. La nécessité de penser la gestion et le fonctionnement de ces espaces dès l’amont vient aussi irriguer scénarios et discussions. Il semble qu’à Job la problématique du devenir du bourg est d’autant plus complexe qu’elle s’adjoint de l’enjeu de la reconversion du site des Mélèzes, d’une grande ampleur.
Revenant de la Biennale d’architecture de Venise, et de l’exposition du pavillon français Lieux infinis : bâtir des lieux et non des bâtiments– mis en place par le collectif d’architecte Encore heureux – , il nous semble qu’il y a la un changement de paradigme où l’on retrouve au cœur l’importance de l’équipe, du portage, l’humanité des projets parfois mise de côté ces dernières années. Il semble essentiel de prendre soin de l’esprit des lieux, de sortir de l’approche technique. une programmation non figée, ouverte, une réhabilitation frugale, progressive, inventive. Des programmes flous, ou plutôt ouverts, portés par des personnes, d’où l’importance des médiations, des rôles d’ensembliers…